Attention, ce manga traite de thèmes sensible tels que l'abus sexuel, le viol, la torture physique et mentale, et concerne un personnage mineur Avant de parler du manga, il faut parler de l'auteur. Moto Hagio est une mangaka ultra-connue.
Née en 49, japonaise, elle est considérée comme la Mère Fondatrice du shojo manga actuel ET du shonen-ai. Je mets les majuscules pour une bonne raison, ce nom n'est pas très répandu dans nos réseaux yaoistes modernes, mais son oeuvre est magistrale. Elle a reçu de nombreuses récompenses et est aujourd'hui professeur à la Joshibijutsu Daigaku,une école d'art privé prestigieuse (qui a aussi la particularité d'être réservée aux filles).
Je ne ferai pas de débat yaoi/shonen-ai ici, mais je fais une précision pour que l'on comprenne la différence qui est faite :
- Shonen-ai est le terme qui désigne un sous-genre du shojo où des personnages mâles ont une relation amoureuse, le plus souvent platonique. Cela commence dans le début des années 70 (Moto Hagio fait ses débuts dans ces années-là). On parle là d’œuvres officielles, publiées dans les magazines de prépublication, et soutenues par les éditeurs.
- Le yaoi désigne les dojinshis s'attachant à parodier des shonen manga contemporains. Ce travail est fait de manière amateur, c'est à dire, sans soutient de maison d'édition. (Comprenez bien, je ne considère pas ces œuvres comme moins bien). Ces oeuvres étaient beaucoup plus sexualisées que le shonen-ai et uniquement concentrées sur des personnages pré-existants, d'où le terme fujoshi qui signifie littéralement "fille pourrie", terme auto-attribué par les fans de yaoi. (je vais m'arrêter là, il y a beaucoup à dire)
Aujourd'hui, on préfère utiliser Boy's Love, qui regroupe tout ça et permet d'aplanir les débats, car on avait tendance à mettre tout et n'importe quoi sous l'étiquette yaoi.
Et donc pourquoi je vous dis tout ça, parce que le travail de Moto Hagio est d'abord dans le domaine du shojo et du shonen-ai. Pour ce dernier genre, elle aime créer des personnages jeunes, en découverte de leur vie et tourmentés par leur puberté. Ce sont des histoires plutôt platonique, pas forcément moins tragiques, mais ça reste dans le domaine des sentiments sans leur réalisation (pour la plupart de ses travaux shonen-ai).
Et en 1993, elle commence Zankoku na kami ga shihai suru qui en anglais est traduit par A cruel God Reigns in Heaven, ou plus court A Cruel God Reigns. A ce jour, il n'y a pas de traduction ni en anglais ni en français pour cette oeuvre, il faut se tourner vers la scantrad pour approcher cette oeuvre.
Cette oeuvre comporte 17 volumes, sortis entre 1993 et 2001 (un travail de longue haleine).
Le propre de l'histoire : USA, fin 80 début 90, Boston, Jeremy, une jeune adolescent, vit avec sa mère qui rencontre Greg, un homme mûr, anglais, très riche. Greg tombe amoureux de la mère de Jeremy et décide non seulement de l'épouser mais aussi de l'embarquer en Angleterre avec Jeremy. Ce dernier n'est pas des plus ravis, mais souhaite protéger sa mère émotionnellement très fragilisée et concède à quitter sa vie à Boston pour partir en Angleterre et intégrer la famille de Greg, qui se résume à Ian, son unique fils, un peu plus âgé que Jeremy.
Ce court résumé couvre à peine le premier tome, mais je ne vais pas vous spoiler, ça serait trop dommage.
Autant vous prévenir, ce manga n'est pas une lecture heureuse, il peut même complètement vous plomber.
L'histoire se concentre sur Jeremy et comment Greg, Ian mais aussi sa mère vont petit à petit créer un monde où Jeremy va se détruire et ne pas pouvoir échapper à cette spirale infernale. Ici, Moto Hagio nous sert une oeuvre où l'amour, le beau, le fort, le pur, celui qu'elle a l'habitude de peindre dans ses précédentes œuvres, celui qui reste le fil rouge de la majorité des shojo et des shonen-ai/yaoi, n'existe pas. Dans ce manga, le moindre sentiment naît dans la boue et y pataugera jusqu'au bout sans jamais se défaire de sa perversion. Jeremy va subir énormément de maltraitance : abus sexuel, viol, torture, manipulation, chantage, auto-destruction, prostitution, drogue, déni de sa condition ...
Pourquoi conseiller ce manga ? Parce que somme toute, c'est une oeuvre édifiante, au pouvoir impressionnant. L'auteur nous capture non seulement pour la descente aux enfers de Jeremy mais pour assister à sa captivité qui semble éternelle entre les mains de son bourreau. Tenir une telle intensité, la nourrir régulièrement tout au long de 17 volumes, c'est un travail colossal.
Servi par un style magnifique, une poésie d'une noirceur poignante, un scénario lent quelques fois mais qui nous empêche de reposer le livre - ou cliquer sur suivant pour notre cas ahah.
17 volumes, ça demande limite de l'organisation pour tout lire. J'ai eu la chance d'entamer ça durant une période de vacances estivales, ce qui m'a laissé le temps de dévorer, de laisser de côté un temps pour souffler, et d'y retourner sans attendre.
Cette oeuvre est, à mon humble avis, pour celles et ceux qui trouve la beauté dans la noirceur de l'âme. Et qui n'ont pas peur des thèmes pré-cités, car il n'y a pas de retournement de situation ni de remontée à la surface : les personnages étouffent et nous avec sous la lourdeur des actes et des conséquences de ces actes. Pour les intéressé/es, on trouve le manga sur nos fournisseurs anglais préférés, traduit par Carfish (carfisher.tumblr.com), et on l'en remercie grandement, c'est un travail de titan que de nous proposer un tel manga en scantrad.